Un billet de Carole Benhamou
Contes africains d'après Shakespeare
mise en scène : Krzysztof Warlikowski
Dans Contes Africains Warlikowski
remanie Shakespeare et met en scène trois personnages tirés de ces œuvres Le
marchand de Venise, Othello ou le maure de Venise et Le Roi Lear.
Lear, Othello et Shylock représentent des figures masculines de pouvoir qui
glissent peu à peu vers l’abîme du mépris et deviennent les indésirables dont on
veut se débarrasser. Tantôt diaboliques tantôt misérables ils se font les
traits de la vaine existence de celui qui, de l'amour ne connait que l'amour
propre. Les rapports qu'ils entretiennent avec les femmes sont viciés par le soupçon
constant de la traitrise, l'amour est incompris et l'écrasant manque de
reconnaissance pousse à la fuite, à l'auto destruction et au suicide. Warlikowski
accompagne ses comédiens jusqu'à les faire suinter, jusqu'à en extraire leur jus,
il les fait pleurer, vomir, jouir et saigner et l'humanité de ces êtres dégoute
et passionne mais ne peut que ravir enfin. Il extrait de ces personnages la
grandeur et soudain des ces êtres triviaux et souvent animaux aux rires gras et
à la lubricité dégoulinante jaillit une pureté une poésie sans artifice.
Contes africains d'après Shakespeare ©Photos by Magda Hueckel 2012
Fiche technique
Texte d’après Shakespeare, JM Coetzee, Eldridge
Cleaver et Wajdi Mouawad
Mise en scène Krzysztof Warlikowski Adaptation Krzysztof Warlikowski, Piotr Gruszczynski Décor et costumes Małgorzata Szczesniak Dramaturgie Piotr Gruszczynski Musique Paweł Mykietyn Lumière Felice Ross Vidéo Kamil Polak Chorégraphie Claude Bardouil Avec Stanisława Celinska, Ewa Dałkowska, Adam Ferency, Małgorzata Hajewska, Wojciech Kalarus, Marek Kalita, Zygmunt Malanowicz, Maja Ostaszewska, Piotr Polak, Magdalena Popławska, Jacek Poniedziałek. |
Le théâtre de Warlikowski est fait d'essentiel, il dessine un jeu organique où sans cesse l'homme dans ses chairs est ramené à une vision antique d'être humain putréfiable, conscient de sa vacuité mais désireux d'un bonheur qu'il se pense incapable d'éprouver. C'est un théâtre aussi dur et cru qu'il est noble et beau. La musique ou plutôt l'ambiance sonore est aussi glaciale et inquiétante que ces décors froids et impersonnels, sonorités sèches et brutes. Tout résonne, le cliquetis des talons aiguille sur l'inox, les lames de couteau que l'on entrechoque, le brancard d'acier de l’hôpital que l'on cogne.
Les trois contes dont le personnage principal est interprété par le même comédien s’entremêlent et finissent par former une unité indissociable. La pièce allie drôle et tragique et avec une grande subtilité, les personnages se livrent sans détour avec élégance un parfum doux amer émane d'eux, entre rudesse et sensibilité. Le théâtre épique de Shakespeare, dont il conserve l'énergie et contre lequel il ne met pas de résistance, est retransmit, mais il le pousse à l'extrême, en fait ressurgir l'étrange, le malsain et parfois le sublime. Sublimes sont les femmes qui dans leur monologue se transcendent atteignant la superbe de l'abnégation, et la légèreté angélique. La fin de la pièce est un ravissement de fraicheur et d'incongruité quand après tout ces drames ont assiste à un cours de danse cubaine mené tambour battant par un professeur vêtu de rose fluo pleine d'humour. La vie surprend et le rire sauve les âmes en perdition. |
May B de Maguy Marin
Spectacle crée
en 1981 par la compagnie de Maguy Marin, d'abord décrié, il est aujourd'hui une
œuvre novatrice et majeure de l'artiste.
La pièce débute. La scène et la salle sont plongées dans un noir complet où même les lumières des issues de secours sont obstruées. Un thème de Schubert accompagné par la voix d'un chanteur allemand, ouvre le spectacle. Le noir dure encore, assez longtemps pour faire perdre tout repère et ne laisser au spectateur que la musique pour guide. La lumière se rallume. L'éclairage inonde la scène de manière très égale, reproduisant une lumière naturelle mais faible. La scénographie est simple, seul un mur marron en fond de scène percé par deux portes fermées forme le décor. Les personnages apparaissent, cinq hommes et cinq femmes groupés. Soudain ils se meuvent et commence un ballet étrange.
Art total
L’œuvre de Maguy Marin reflète son idéologie de la représentation, May B est une forme hybride entre la danse et le théâtre, parfois théâtre dansé, souvent danse théâtralisée. La pièce vogue entre ces deux formes. En effet la parole est très peu présente sauf de rares fois où un des personnages prononce les mêmes mots : « Fini, c’est fini. Ça va finir, ça va peut-être finir. ». Aussi les autres mots qui sortent de la bouche sont plutôt des sons que des paroles. De même la danse sert ici le jeu plutôt qu'elle est une démonstration de technique. On peut rarement dire que les personnages dansent, mais plutôt qu'ils enchainent des gestes, prennent des postures. Le parti prit de l’expressionnisme est servit par ces corps aux défauts exagérés, bossus, ces visages monstrueux, blancs, grimés, aux traits expressifs accentués, montrant tour à tour la colère, l'entonnement, la peur, le dégout. Les bouches sont distordues, les yeux exorbités, les sourires sont davantage des grimaces.
Les expressions sont parfois figées, comme celles d'automates. Ces deux disciplines, ici indissociables, puisent leur force l'une dans l'autre pour emporter le spectateur dans un monde organique auquel il se sent viscéralement rappelé, fait d'intemporel et d'universel.
La pièce débute. La scène et la salle sont plongées dans un noir complet où même les lumières des issues de secours sont obstruées. Un thème de Schubert accompagné par la voix d'un chanteur allemand, ouvre le spectacle. Le noir dure encore, assez longtemps pour faire perdre tout repère et ne laisser au spectateur que la musique pour guide. La lumière se rallume. L'éclairage inonde la scène de manière très égale, reproduisant une lumière naturelle mais faible. La scénographie est simple, seul un mur marron en fond de scène percé par deux portes fermées forme le décor. Les personnages apparaissent, cinq hommes et cinq femmes groupés. Soudain ils se meuvent et commence un ballet étrange.
Art total
L’œuvre de Maguy Marin reflète son idéologie de la représentation, May B est une forme hybride entre la danse et le théâtre, parfois théâtre dansé, souvent danse théâtralisée. La pièce vogue entre ces deux formes. En effet la parole est très peu présente sauf de rares fois où un des personnages prononce les mêmes mots : « Fini, c’est fini. Ça va finir, ça va peut-être finir. ». Aussi les autres mots qui sortent de la bouche sont plutôt des sons que des paroles. De même la danse sert ici le jeu plutôt qu'elle est une démonstration de technique. On peut rarement dire que les personnages dansent, mais plutôt qu'ils enchainent des gestes, prennent des postures. Le parti prit de l’expressionnisme est servit par ces corps aux défauts exagérés, bossus, ces visages monstrueux, blancs, grimés, aux traits expressifs accentués, montrant tour à tour la colère, l'entonnement, la peur, le dégout. Les bouches sont distordues, les yeux exorbités, les sourires sont davantage des grimaces.
Les expressions sont parfois figées, comme celles d'automates. Ces deux disciplines, ici indissociables, puisent leur force l'une dans l'autre pour emporter le spectateur dans un monde organique auquel il se sent viscéralement rappelé, fait d'intemporel et d'universel.
Évolution
Si la pièce ne sert pas les propos d'une histoire, elle raconte celle de l'humanité. Une évolution retranscrite en trois phases depuis les origines du monde jusqu'au monde social en passant par un état intermédiaire de l'homme en proie à ses pulsions. Le début de la pièce montre des êtres immobiles, vêtus de haillons beiges crasseux, complètements recouverts d'une poudre blanche qui forme des halos au dessus de leur tête à chaque pas, chaque mouvement. Ils se déplacent tous en rythme, lentement, de façon très saccadée, presque robotique. Tous répètent une série de gestes, rentrant en contact les uns avec les autres, ils parcourent de cette façon les quatre coins de la scène en reproduisant toujours cette chorégraphie macabre. Une procession groupée haletante, d'où s'échappent raclements de gorge, râles, cris, tressautements de voix, sons inintelligibles, sortes d'incantations proférées en cadence. Ils se grattent, frottent le sol de leurs chaussures, le contact avec la terre se fait lourd, ils y sont ancrés, ne peuvent s'en détacher, empêchés par leur sauvage condition. Ils semblent venir du fond des âges, sortis tout droit de cavernes. Semblables à des fœtus recouverts de substance placentaire, des êtres brutaux, presque inhumains. Maguy Marin présente ici une allégorie des origines de l'humanité. Le noir total, dans lequel est plongée la salle, pendant quelques minutes suivie d'une arrivée à la lumière, à la vie sur des êtres maladroits est le symbole de la naissance. Cette phase présentant des nouveaux nés qui s'agitent se termine là où une autre commence, celle de l'homme plus mûr, en possession de son corps mais néanmoins toujours brutal.
La scission est exprimée très nettement lorsqu’en même temps les personnages abandonnent leur état larvaire et animal pour venir s'aligner au devant de la scène et enlever leurs chaussures, comme pour se libérer du lien de la terre et revêtir l'autre peau de l'homme, évolué. Sur une musique de tambours battants ils se livrent, toujours ensembles et en cadence, à des danses folkloriques. Désormais ils ne sont plus des êtres semblables et asexués mais forment bien deux catégories, hommes et femmes. Alors, dans ce tourbillon, où les corps se mélangent, s'entrechoquent, là où ils ont désormais acquis les codes de leur sexe respectif, apparait une image de la sexualité violente et mécanique. Ils miment la masturbation, s'agitant frénétiquement au sol, se crispent, se tordent jusqu'à l'extase dont ils semblent souffrir. Le simulacre de divertissement dans lequel ils se vautrent jusqu'à l’épuisement, est en réalité une tache comme toutes les autres à accomplir. Les personnages sont emportés et prisonniers de ce diktat, ils ne semblent éprouver aucun plaisir, et le cycle se répète sans fin frénétiquement, se jeter au sol, danser, copuler. C'est dans cet état où naissent des émotions nouvelles qu'ils ne peuvent contrôler que s'amorce un combat entre deux personnages. Deux camps identiques s'affrontent alors sur une musique de Schubert, entrecoupés de moment où ils semblent s’arrêter et réfléchir, puis incapables de se résonner repartent en tapant des poings. L'animosité nait, la violence se tourne à présent vers le nouvel arrivant, l'autre.
Le monde social apparaît dans la troisième partie de la pièce, lorsqu’après ces échauffements, et bercés par un opéra allemand lourd de tristesse, ils se placent pour la première fois dans des positions différentes. Ils deviennent des personnes apparemment à part entière, individuelles. Par dessus leurs pyjamas certains ont mis des vêtements. Au premier plan, trois femmes accroupies, toujours vêtues de leurs haillons telles des pauvresses, puis en arrière un homme en veston en tient un autre en laisse, son esclave qui porte des valises, enfin au fond deux vieux hommes, un en fauteuil, l'autre aveugle et handicapé. Dans ce nouvel air, les personnages ont perdus leur mobilité naturelle, leur vigueur, ils sont coincés, plus évolués mais entravés par le monde social. Ils ne sont plus égaux et leur différences créent une hiérarchisation, un asservissement, nait le pouvoir. S'ils peuvent à présent parler, aucun mot intelligible ne sort de leur bouche, ne générant que moqueries. Les références à notre société sont là, le temps qui passe et laisse les êtres vieux, sourds et mauvais, l'anniversaire que l'on fête dans une hypocrisie générale, juste par convention. Chacun peste et veut sa part du gâteau, qu'ils viennent chercher tour à tour. Ils apparaissent maintenant comme des êtres civilisés évoluant dans une société faite de codes, mais se conduisent toujours pour certains comme des animaux et volent le gâteau pour se goinfrer seuls.
Le message est fort, la modernité apporte amélioration mais laisse les êtres pauvres, jaloux, vilains, désemparés, en souffrance dans un brouhaha assourdissant. On note néanmoins poindre ici et pour la première fois un peu de douceur dans le rapport entre les êtres quand quelques mots sont susurrés à l'oreille. La sensibilité de certains dévoile les prémices d'un désir de se soustraire à la tyrannie du groupe.
La scission est exprimée très nettement lorsqu’en même temps les personnages abandonnent leur état larvaire et animal pour venir s'aligner au devant de la scène et enlever leurs chaussures, comme pour se libérer du lien de la terre et revêtir l'autre peau de l'homme, évolué. Sur une musique de tambours battants ils se livrent, toujours ensembles et en cadence, à des danses folkloriques. Désormais ils ne sont plus des êtres semblables et asexués mais forment bien deux catégories, hommes et femmes. Alors, dans ce tourbillon, où les corps se mélangent, s'entrechoquent, là où ils ont désormais acquis les codes de leur sexe respectif, apparait une image de la sexualité violente et mécanique. Ils miment la masturbation, s'agitant frénétiquement au sol, se crispent, se tordent jusqu'à l'extase dont ils semblent souffrir. Le simulacre de divertissement dans lequel ils se vautrent jusqu'à l’épuisement, est en réalité une tache comme toutes les autres à accomplir. Les personnages sont emportés et prisonniers de ce diktat, ils ne semblent éprouver aucun plaisir, et le cycle se répète sans fin frénétiquement, se jeter au sol, danser, copuler. C'est dans cet état où naissent des émotions nouvelles qu'ils ne peuvent contrôler que s'amorce un combat entre deux personnages. Deux camps identiques s'affrontent alors sur une musique de Schubert, entrecoupés de moment où ils semblent s’arrêter et réfléchir, puis incapables de se résonner repartent en tapant des poings. L'animosité nait, la violence se tourne à présent vers le nouvel arrivant, l'autre.
Le monde social apparaît dans la troisième partie de la pièce, lorsqu’après ces échauffements, et bercés par un opéra allemand lourd de tristesse, ils se placent pour la première fois dans des positions différentes. Ils deviennent des personnes apparemment à part entière, individuelles. Par dessus leurs pyjamas certains ont mis des vêtements. Au premier plan, trois femmes accroupies, toujours vêtues de leurs haillons telles des pauvresses, puis en arrière un homme en veston en tient un autre en laisse, son esclave qui porte des valises, enfin au fond deux vieux hommes, un en fauteuil, l'autre aveugle et handicapé. Dans ce nouvel air, les personnages ont perdus leur mobilité naturelle, leur vigueur, ils sont coincés, plus évolués mais entravés par le monde social. Ils ne sont plus égaux et leur différences créent une hiérarchisation, un asservissement, nait le pouvoir. S'ils peuvent à présent parler, aucun mot intelligible ne sort de leur bouche, ne générant que moqueries. Les références à notre société sont là, le temps qui passe et laisse les êtres vieux, sourds et mauvais, l'anniversaire que l'on fête dans une hypocrisie générale, juste par convention. Chacun peste et veut sa part du gâteau, qu'ils viennent chercher tour à tour. Ils apparaissent maintenant comme des êtres civilisés évoluant dans une société faite de codes, mais se conduisent toujours pour certains comme des animaux et volent le gâteau pour se goinfrer seuls.
Le message est fort, la modernité apporte amélioration mais laisse les êtres pauvres, jaloux, vilains, désemparés, en souffrance dans un brouhaha assourdissant. On note néanmoins poindre ici et pour la première fois un peu de douceur dans le rapport entre les êtres quand quelques mots sont susurrés à l'oreille. La sensibilité de certains dévoile les prémices d'un désir de se soustraire à la tyrannie du groupe.
Enfermement
Tout au long de la pièce les être évoluent ensemble ne formant d'abord qu'une entité par une synchronicité parfaite, ils s'humanisent peu à peu et s'individualisent finalement mais irrémédiablement sont rappelés à la communauté dont ils semblent incapables de s'échapper. Asservis, victimes consentantes des brimades assénées par la communauté et des frustrations subies. La scène de fin illustre remarquablement cette aliénation quand ils se montrent en rang par deux, tous ont revêtus des habits de villes, portent des valises, semblent aller quelque part. De cette procession un couple est rejeté méprisé et moqué, il se détache rit à son tour puis revient au groupe, toujours. Comme si tous deux s'étaient libérés du jugement des autres mais ne pouvait s'en séparer, ou s'efforçaient de vivre avec le temps nécessaire, en attendant. Une femme se retrouve seule sur scène, désemparée, elle pousse un hurlement de douleur, un appel aux autres qui ne viennent pas. Elle parcourt alors la scène en tout sens, perdue, anéantie. La solitude est impossible, insurmontable, terrifiante. L'indépendance n'existe pas et si elle est envisagée en de rares occasions, elle est aussitôt abandonnée. Les rapports entre les êtres ne sont synonymes que d'agressivité et de cruauté, l'amour en est absent, la peur omniprésente. Elle empêche la rébellion et les contraint à se courber et à souffrir sans échappatoire jusqu'à la fin qui ne semble jamais arriver.
Absurde
La répétition est le fer de lance du spectacle, poussée à l'extrême et à la fin matérialisée par la boucle sans fin dans laquelle les êtres sont emportés. Tous en rang, valises en mains, ils semblent vouloir s'échapper, ils tentent une sortie en groupe par la salle, s'évadant pour finalement revenir sur scène dans la position qu'ils venaient de quitter. Les gestes se répètent à l'infini, ils tournent littéralement en rond. On les sens pris au piège, leurs actions sont insensées, ils en deviennent ridicules et tombent irrémédiablement dans l'absurde. Pendant ces trente dernières minutes qui paraissent sans issue, résonne en boucle une chanson de Gavin Bryars « Jesus blood never failed me yet ». L'histoire de cette chanson trouve un écho parfait dans la pièce et prend tout son sens. Sombre et courte mélodie dont le peu de paroles se répètent sans cesse comme une litanie. Elle est interprétée par un vieux clochard, à la voix éraillée, nasillarde et abimée par le froid et l'alcool que Gavin Bryars avait enregistré dans les rues un soir de grand désespoir. Le paradoxe est effrayant, celui d'un homme démuni et accablé qui continu à croire en Jesus dont dit-il « le sang ne l'a jamais abandonné ». Par ce choix Maguy Marin met en exergue le non sens de l'existence et la pauvreté des êtres que la vie assomme et qui continuent coute que coute de vivre si misérables soient-ils.
L'absurde est le cœur cette pièce, la référence à Beckett, quand un personnage stoppant sa course folle, s’arrête et prononce la seule phrase audible et intelligible de la pièce : « Fini, c’est fini. Ça va finir, ça va peut-être finir. », révèle l'intention de Maguy Marin. Elle donne à voir des êtres comme des pantins du destin qui pèse sur eux et les enferme dans ce monde étouffant qu'ils contribuent à se construire et dont ils ne sortent pas par peur. Fatalité écrasante et inextricable en constante répétition. La scène se fait laboratoire où sont enfermés des cobayes qui tournent en rond et s'efforcent de reproduire un schéma de vie quotidienne répétitive et aliénante dont ils ne sont pas les sujets mais les objets. Le thème de Schubert grave et sentencieux donne la voix finale et libère par la mort le dernier personnage sur scène, seul. « C'est fini. »
Absurde
La répétition est le fer de lance du spectacle, poussée à l'extrême et à la fin matérialisée par la boucle sans fin dans laquelle les êtres sont emportés. Tous en rang, valises en mains, ils semblent vouloir s'échapper, ils tentent une sortie en groupe par la salle, s'évadant pour finalement revenir sur scène dans la position qu'ils venaient de quitter. Les gestes se répètent à l'infini, ils tournent littéralement en rond. On les sens pris au piège, leurs actions sont insensées, ils en deviennent ridicules et tombent irrémédiablement dans l'absurde. Pendant ces trente dernières minutes qui paraissent sans issue, résonne en boucle une chanson de Gavin Bryars « Jesus blood never failed me yet ». L'histoire de cette chanson trouve un écho parfait dans la pièce et prend tout son sens. Sombre et courte mélodie dont le peu de paroles se répètent sans cesse comme une litanie. Elle est interprétée par un vieux clochard, à la voix éraillée, nasillarde et abimée par le froid et l'alcool que Gavin Bryars avait enregistré dans les rues un soir de grand désespoir. Le paradoxe est effrayant, celui d'un homme démuni et accablé qui continu à croire en Jesus dont dit-il « le sang ne l'a jamais abandonné ». Par ce choix Maguy Marin met en exergue le non sens de l'existence et la pauvreté des êtres que la vie assomme et qui continuent coute que coute de vivre si misérables soient-ils.
L'absurde est le cœur cette pièce, la référence à Beckett, quand un personnage stoppant sa course folle, s’arrête et prononce la seule phrase audible et intelligible de la pièce : « Fini, c’est fini. Ça va finir, ça va peut-être finir. », révèle l'intention de Maguy Marin. Elle donne à voir des êtres comme des pantins du destin qui pèse sur eux et les enferme dans ce monde étouffant qu'ils contribuent à se construire et dont ils ne sortent pas par peur. Fatalité écrasante et inextricable en constante répétition. La scène se fait laboratoire où sont enfermés des cobayes qui tournent en rond et s'efforcent de reproduire un schéma de vie quotidienne répétitive et aliénante dont ils ne sont pas les sujets mais les objets. Le thème de Schubert grave et sentencieux donne la voix finale et libère par la mort le dernier personnage sur scène, seul. « C'est fini. »
Photos by ©Claude Bricage
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Fiche techinique
Chorégraphie : Maguy Marin
Danseurs : Ulises Alvarez, Romain Bertet, Kaïs Chouibi, Laura Frigato, Françoise Leick, Mayalen Otondo, Lia Rodrigues, Ennio Sammarco, Jeanne Vallauri, Adolfo Vargas Musiques originales : Franz Schubert, Gilles de Binche, Gavin Bryars Costumes : Louise Marin |